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Une faute peut-elle être reprochée à un salarié sur la base de photos/vidéos prises par un collègue?


Le fait pour un salarié de prendre des photos et des vidéos de ses collègues de travail pose plusieurs problématiques juridiques :


1/ Une problématique entre le salarié qui prend la photo et celui qui est pris en photo :


Le salarié qui est pris en photo pourrait considérer qu’il s’agit d’une atteinte à sa vie privée.


Il faut noter que l’article 226-1 du code pénal dispose que « Est puni d'un an d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende le fait, au moyen d'un procédé

quelconque, d'avoir volontairement porter atteinte à l'intimité de la vie privée d'autrui :

  • En captant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de leur auteur, des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel ;

  • En fixant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de celle-ci, l'image d'une personne se trouvant dans un lieu privé.

  • En captant, enregistrant ou transmettant, par quelque moyen que ce soit, la localisation en temps réel ou en différé d'une personne sans le consentement de celle-ci".

2/ Une problématique entre le salarié qui est pris en photo et l’employeur qui ne sanctionne pas voire incite à cette pratique :


2.1. La pratique selon laquelle l’employeur surveille les salariés à travers les photos et vidéos prises par un collaborateur est contestable à plusieurs égards :

  • D’abord, elle apparaît attentatoire à la vie privée du salarié dans la mesure où cet enregistrement n’a pas été porté à sa connaissance préalablement.

L’employeur ne peut apporter aux droits des salariés et à leurs libertés individuelles et

collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir, ni proportionnées au but recherché (c. trav. art. L. 1121-1).


Tout système de surveillance des salariés doit donc répondre à ces deux conditions.


Aucune information concernant personnellement un salarié ne peut être collectée par un dispositif qui n’a pas été porté préalablement à sa connaissance (c. trav. art. L. 1222-4).


Cette prescription vise notamment les systèmes de vidéosurveillance des salariés.


Ainsi, l’employeur a certes le pouvoir de contrôler et de surveiller l’activité de son personnel pendant le temps de travail, mais il ne peut pas mettre en œuvre un dispositif de contrôle clandestin et, à ce titre, déloyal.


Le moyen de preuve ainsi obtenu est illicite (Cass. Soc. 4 juillet 2012, pourvoi n° 11-30266) et ne pourrait servir de preuve.

  • Ensuite, on pourrait presque aller plus loin en tentant de faire considérer que finalement, cette pratique est constitutive d’un délit d’entrave puisque dans une entreprise d'au moins 50 salariés, le comité social et économique (CSE) doit être informé et consulté sur les moyens ou techniques permettant un contrôle de l’activité des salariés, préalablement à la décision de sa mise en œuvre dans l’entreprise (c. trav. art. L. 2312-38).

En tout état de cause, l’employeur qui ne consulterait pas le CSE ne pourrait pas se servir de ce dispositif pour apporter la preuve de la faute d’un salarié (Cass. Soc. 11 décembre 2019, pourvoi n° 18-11792).

  • Enfin, il peut être important de relever que s’il s’avère que c’est l’entreprise elle-même qui est considérée comme responsable de l’infraction d’atteinte à la vie privée (par la prise de photographie à l’insu des salariés), l’article 226-7 du code pénal indique que « Les personnes morales déclarées responsables pénalement, encourent, outre (une) amende (...) l'interdiction, à titre définitif ou pour une durée de cinq ans au plus, d'exercer directement ou indirectement l'activité professionnelle ou sociale dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de laquelle l'infraction a été commise...mais également l'affichage ou la diffusion de la décision prononcée"

2.2. Les preuves ainsi obtenues sont en tout état de cause illicites et ne peuvent être utilisées devant le conseil de prud’hommes.


De manière générale, les éléments de preuve produits par l'employeur ou le salarié ne doivent pas avoir été obtenus frauduleusement ou de façon déloyale et ne doivent pas porter atteinte à l'intimité de la vie privée.


Attention néanmoins :

  • Depuis plusieurs années il est possible de ressentir un assouplissement de cette jurisprudence.

De plus en plus nombreuses décisions dans lesquelles les juges ont contrebalancé l’atteinte à la vie privée avec le droit à la preuve ont été rendues. On pense notamment à l’affaire Petit Bateau… (Cass. soc. 30-9-2020 n° 19-12.058 FS-PBRI, A. c/ Sté Petit Bateau) …dans laquelle il a été jugé que l'employeur pouvait produire en justice des éléments extraits du compte privé Facebook d'un salarié, si cette production est indispensable à l'exercice de son droit à la preuve et que l'atteinte à la vie privée du salarié est proportionnée au but poursuivi.


Il faut donc retenir qu’une preuve illicite n'est pas nécessairement écartée des débats,

à condition d'avoir été obtenue de manière loyale.


Le juge doit apprécier si l'utilisation d'une telle preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit au respect de la vie personnelle du salarié et le droit à la preuve de l'employeur.


  • L’employeur pourrait fonder les griefs non pas sur les photos / vidéos mais sur les attestations du salarié qui serait finalement témoins des faits photographiés / enregistrés.

En effet, la surveillance humaine, sur le lieu de travail, elle n’est pas interdite.


Selon la Cour de cassation, la simple surveillance d’un salarié faite sur les lieux du travail par son supérieur hiérarchique est possible, même en l’absence d’information préalable du salarié (Cass. Soc. 26 avril 2006, n° 04-43582).


Le contrôle de l’activité d’un salarié, au temps et au lieu de travail, par un service interne à l’entreprise chargé de cette mission peut également être mis en œuvre en l’absence

d’information préalable du salarié.


Il s’agit là d’un mode de preuve licite (Cass. Soc. 5 novembre 2014, n° 13-18427) qui ne nécessite pas non plus la consultation préalable du comité social et économique (CE, 13 juillet 2020, n°417972).


Conclusion : Le CSE pourrait présenter ses observations à l’inspection du travail sur cette pratique voire réaliser un droit d’alerte s’il s’avère qu’une véritable atteinte est portée au droit au respect de la vie privée des salariés dans l’hypothèse où l’employeur incite véritablement à la prise de clichés.

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