La prise en compte des arrêts maladie dans le calcul de l'ancienneté
- Sébastien LAGOUTTE

- 12 nov.
- 4 min de lecture

L'ancienneté constitue la pierre angulaire des droits du salarié en France. Elle est le socle sur lequel se construisent de nombreuses prérogatives, notamment en matière d'indemnités de licenciement, de durée du préavis ou encore d'accès à certaines garanties conventionnelles. C'est pourquoi son mode de calcul est un enjeu stratégique dans la relation de travail, et plus encore lors de sa rupture.
Dans ce contexte, l'arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 1er octobre 2025 (pourvoi n°24-15.529) s'impose comme une décision fondamentale. Il vient clarifier de manière définitive une question cruciale : une période d'arrêt maladie d'origine non professionnelle doit-elle être prise en compte dans le calcul de l'ancienneté ouvrant droit à une indemnisation en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse ?
Les faits
Le parcours de notre protagoniste dans cette affaire illustre une situation où la perte d'emploi est survenue dans un contexte de difficultés économiques de son entreprise. Engagée en qualité d'esthéticienne photothérapeute par la société L&A, une salariée va voir son employeur placé en liquidation judiciaire.
Le 17 avril 2019, le liquidateur lui notifie son licenciement pour motif économique.
C'est à la suite de ce licenciement que s'engage une bataille judiciaire dont l'issue dépendra entièrement de l'interprétation de la notion d'ancienneté.
Rappel de la procédure
Le parcours judiciaire de cette affaire illustre comment une interprétation erronée en appel peut priver un salarié de ses droits.
La décision rendue par la Cour d'appel d'Aix-en-Provence a, dans un premier temps, privé la salariée de son droit à indemnisation en adoptant une vision restrictive et finalement erronée du calcul de l'ancienneté.
Par un arrêt en date du 7 décembre 2023, les juges du fond ont en effet débouté la salariée de sa demande d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Leur raisonnement, qui a introduit pour la première fois l'élément de l'arrêt maladie, reposait sur une lecture tronquée de sa carrière. Ils ont estimé que "la salariée, qui a été embauchée le 9 mai 2016 avant d'être placée en arrêt maladie pour un motif non professionnel à compter du mois de novembre suivant, bénéficie donc d'une ancienneté de 6 mois". En excluant de fait toute la période de suspension de son contrat de travail, la cour d'appel a conclu qu'elle ne remplissait pas la condition d'une année d'ancienneté requise pour prétendre à une indemnisation (8 mois).
C'est précisément ce raisonnement, lourd de conséquences, qui a été contesté devant la Cour de cassation.
La décision de la Cour de cassation
Le raisonnement de la Cour de cassation est d'une clarté limpide et repose sur une lecture stricte de l'article L. 1235-3 du code du travail. La Cour rappelle que ce texte, qui conditionne le droit à une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à une ancienneté minimale, ne comporte aucune restriction pour les périodes de suspension du contrat de travail.
Par cette analyse, la Cour applique une méthode d'interprétation littérale du texte : elle refuse de créer une distinction entre les périodes de travail effectif et les périodes de suspension là où le législateur n'en a prévu aucune.
L'impact de ce principe est majeur : L'arrêt maladie, qu'il soit d'origine professionnelle ou non, ne rompt pas le contrat de travail mais ne fait que le suspendre. Durant cette période, le salarié fait toujours partie des effectifs de l'entreprise. En affirmant que l'ancienneté continue de courir, la Cour de cassation sécurise le parcours des salariés, garantissant que les aléas de santé ne viennent pas amputer les droits qu'ils ont acquis par leur présence dans l'entreprise.
Au-delà du principe, la Cour de cassation a pris une décision forte quant aux conséquences pratiques pour la salariée. Fait notable, elle a choisi de prononcer une "cassation partielle sans renvoi", statuant elle-même sur le fond du litige. Cette décision procédurale n'est pas anodine : en justifiant ce choix par "l'intérêt d'une bonne administration de la justice", la Cour met un terme définitif et rapide au combat judiciaire de la salariée, lui évitant de devoir retourner devant une autre cour d'appel.
Les résultats concrets de cette décision sont les suivants :
Ancienneté reconnue : La Cour recalcule l'ancienneté de la salariée en incluant la période de suspension et la fixe à 2 ans et 10 mois au moment de son licenciement.
Indemnisation obtenue : Sur la base de l'ancienneté reconnue et du salaire de la salarié, elle lui alloue la somme de 5.989 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Cette créance sera inscrite au passif de la liquidation de l'entreprise.
La réparation est donc directe, chiffrée et définitive.
Cette décision confirme une interprétation large et protectrice de la notion d'ancienneté, alignée sur l'esprit du droit du travail. Elle doit être utilisée pour contrer toute tentative d'un employeur ou d'un liquidateur de minimiser les droits des salariés en interprétant restrictivement les textes.
Concrètement, les représentants du personnel doivent désormais systématiquement vérifier que les périodes de suspension pour maladie non professionnelle sont incluses dans le calcul de l'ancienneté lors de tout licenciement. En cas de désaccord, il convient de citer explicitement cet arrêt (Cass. soc., 1er octobre 2025, Pourvoi n° 24-15.529) dans toute négociation ou contestation portant sur ce sujet.





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