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Consultation sur les orientations stratégiques : Quand la Cour de cassation décide de troubler la vision globale du CSE

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La consultation annuelle sur les orientations stratégiques de l'entreprise représente un moment clé pour le CSE. C'est l'occasion pour les représentants du personnel de comprendre la vision à long terme de la direction et d'évaluer ses conséquences sur l'avenir de l'entreprise et de ses salariés. 


Dans ce cadre, le recours à un expert-comptable est un droit essentiel qui permet aux élus de décrypter des informations souvent complexes et d'émettre un avis éclairé, voire de proposer des orientations alternatives.


Un arrêt majeur de la Chambre sociale de la Cour de cassation, en date du 17 septembre 2025 (Pourvoi n° 24-14.518), vient toutefois clarifier, et potentiellement restreindre, le périmètre de la mission de cet expert. 


La décision se prononce sur le droit de l'expert d'analyser un projet de rapprochement spécifique dans le cadre de cette consultation générale, alors même que ce projet n'est pas encore finalisé.


Les faits


La décision de la Cour de cassation trouve son origine dans un désaccord entre l'association Agemetra, son CSE et l'expert mandaté par ce dernier, la société ACTI-CE, concernant l'articulation entre la stratégie globale et un projet de restructuration majeur. 


La chronologie des événements est déterminante pour comprendre l'enchaînement qui a mené au conflit.


Le 18 décembre 2023, l'association Agemetra transmet à son CSE une note d'information concernant la "phase préparatoire de construction d'un projet de regroupement" avec une autre entité, l'AST Grand.


Le 16 février 2024, l'employeur lance officiellement la procédure de consultation du CSE sur les orientations stratégiques pour l'année 2024. Dans le cadre de cette consultation, le comité décide de se faire assister par un expert-comptable et mandate la société ACTI-CE.


Le 22 février 2024, l'association reçoit la lettre de mission de l'expert, laquelle inclut explicitement l'analyse du projet de rapprochement et de ses conséquences.


Estimant que l'expert outrepasse son mandat, l'association saisit le 1er mars 2024 le tribunal judiciaire pour contester l'étendue de sa mission.


Le 8 mars 2024, soit postérieurement à la saisine du tribunal, l'association et les organisations syndicales représentatives signent un accord de méthode prévoyant un calendrier d'information-consultation spécifique et futur sur le projet de rapprochement.


Rappel de la procédure


Le désaccord sur le champ d'intervention de l'expert a conduit l'association Agemetra à judiciariser le conflit. L'objectif de l'employeur était clair : obtenir du juge une redéfinition de la mission confiée à l'expert du CSE, en la cantonnant strictement à la consultation sur les orientations stratégiques et en excluant l'analyse détaillée du projet de regroupement.


Devant le tribunal judiciaire de Lyon, l'association employeur a demandé le retrait des points suivants de la mission de l'expert, qui concernaient tous le projet de rapprochement :


  • L’évaluation de son impact sur les activités, y compris sur les offres "socle" et "complémentaires", ainsi que sur l’activité formation.

  • L’appréhension des besoins en évolution des compétences et de la formation dès 2024.

  • L'évaluation de ses conséquences sur les emplois, notamment sur les potentiels doublons de postes.

  • L'analyse de son impact sur les processus de digitalisation et l'exercice de la pluridisciplinarité.

  • L’identification des principes directeurs de la future organisation du travail.

  • L'évaluation de son impact sur l'articulation des systèmes de qualité entre Agemetra et l'AST Grand.

  • Les entretiens prévus avec plusieurs dirigeants et le président du CSE de l’AST Grand.


Par un jugement du 8 avril 2024, le tribunal judiciaire de Lyon a donné raison à l'employeur. Il a jugé que la mission de l'expert dépassait le périmètre légal de la consultation sur les orientations stratégiques et a ordonné le retrait des points litigieux, ainsi qu'une révision à la baisse des honoraires de l'expert.


Contestant cette décision, la société d'expertise ACTI-CE a formé un pourvoi en cassation, portant ainsi le débat devant la plus haute juridiction de l'ordre judiciaire.


La décision de la Cour de cassation


La question centrale soumise à la Cour de cassation était de savoir si un projet de rapprochement, dont l'existence est connue mais dont les contours ne sont pas encore finalisés, devait être analysé en détail par l'expert dans le cadre de la consultation annuelle sur les orientations stratégiques.


La Cour de cassation rejette le pourvoi de l'expert et valide le raisonnement du premier juge. Sa décision repose sur une distinction stricte entre deux processus d'information-consultation qui ne doivent pas être confondus :


  • La consultation récurrente sur les orientations stratégiques, prévue à l'article L. 2312-17, 1° du code du travail, qui porte sur les grandes lignes de la stratégie de l'entreprise et ses conséquences générales.

  • La consultation ponctuelle sur un projet spécifique de restructuration ou de modification de l'organisation juridique, tel qu'un projet de rapprochement.


Pour asseoir son raisonnement, la Cour rappelle que sa jurisprudence est constante sur ce point, citant un arrêt du 21 septembre 2022 (pourvoi n° 20-23.660) qui établit que la consultation ponctuelle sur un projet de restructuration n'est pas subordonnée à la consultation préalable sur les orientations stratégiques. L'existence de deux périmètres distincts est donc un principe bien établi.


Le fait décisif relevé par la Cour pour justifier cette séparation est l'existence d'un accord de méthode signé le 8 mars 2024. Cet accord prévoyait un calendrier et des modalités spécifiques pour une future consultation du CSE dédiée exclusivement au projet de rapprochement, une fois celui-ci suffisamment "élaboré".


La Cour en tire la conclusion suivante : dès lors qu'il est prévu que le projet de regroupement fera l'objet, en temps voulu, d'une procédure d'information-consultation dédiée, il n'a pas à être analysé en profondeur dans le cadre de la consultation sur les orientations stratégiques. La mission de l'expert mandaté pour cette dernière doit donc rester cantonnée à son objet général, et la demande de l'employeur de retirer les points litigieux de la lettre de mission était par conséquent légitime.


En validant la position de l'employeur, cette décision, bien que rigoureuse sur le plan juridique, ouvre la voie à une analyse critique de ses conséquences pratiques pour les droits des salariés et l'efficacité du dialogue social.


Bien que juridiquement fondée sur la distinction entre les différentes consultations du CSE, cette décision de la Cour de cassation soulève des questions fondamentales sur la capacité des élus à exercer pleinement leurs prérogatives. Elle risque d'affaiblir la portée de la consultation sur les orientations stratégiques, qui est pourtant l'une des plus importantes pour la défense des intérêts des salariés.


Cette jurisprudence crée un risque avéré : celui d'encourager les directions à scinder artificiellement les consultations pour limiter la vision globale du CSE et de son expert. En isolant l'analyse d'un projet de rapprochement de la discussion sur la stratégie générale, on empêche les élus de comprendre comment les deux s'articulent. La stratégie n'est plus un ensemble cohérent, mais une succession de projets présentés isolément, ce qui rend difficile toute anticipation des impacts à long terme sur l'emploi, les compétences et les conditions de travail.


Quelle est la substance d'une consultation sur les orientations stratégiques si on en retire l'analyse de son projet le plus structurant ? La stratégie d'une entreprise est constituée de ses projets de développement, de réorganisation ou de regroupement. Priver le CSE et son expert de la possibilité d'évaluer en amont les conséquences concrètes d'un tel projet (impact sur les emplois, besoins en formation, nouvelle organisation) revient à vider la consultation stratégique d'une partie essentielle de son contenu, la rendant plus théorique et moins connectée aux réalités futures des salariés.


La chronologie des faits doit être analysée comme une manœuvre stratégique. L'employeur a d'abord contesté en justice la mission de l'expert (1er mars 2024) avant de signer, une semaine plus tard, un accord de méthode promettant une consultation future (8 mars 2024). Cette manœuvre calendaire est d'autant plus significative qu'elle a directement forgé l'arme juridique de l'employeur. En signant cet accord, l'association a créé ex post facto la justification légale de sa contestation, un argument que la Cour de cassation a jugé décisif. L'employeur garde ainsi la maîtrise du calendrier, en ne soumettant le projet à une analyse détaillée qu'une fois celui-ci beaucoup plus avancé et donc plus difficilement amendable.


Face à cette jurisprudence, il est donc crucial pour les élus du personnel de tirer les leçons de cette affaire et d'adapter leurs stratégies pour préserver leur capacité d'action.

L'arrêt du 17 septembre 2025 consacre la possibilité pour un employeur de dissocier un projet de restructuration de la consultation annuelle sur les orientations stratégiques, limitant de fait le champ d'intervention de l'expert-comptable missionné pour cette dernière. Cette décision invite les CSE à une plus grande vigilance et à une approche plus stratégique de leurs prérogatives.


Voici quelques recommandations et points de vigilance à retenir :

  • Anticiper lors de la négociation des accords de méthode : Il est primordial d'insister sur l'insertion de "clauses de connexité" qui stipulent que tout projet majeur annoncé doit être traité, au moins dans ses implications stratégiques, au sein de la consultation sur les orientations, sauf si un calendrier de consultation ponctuelle est formellement et conjointement arrêté avant le lancement de la consultation stratégique.

  • Rédiger la lettre de mission de l'expert avec précision : Pour éviter la contestation de l'employeur, il s'agit de qualifier juridiquement la mission pour qu'elle porte sur les conséquences des orientations stratégiques (dont le projet fait partie) sur l'activité, l'emploi et les compétences, et non sur l'audit du projet lui-même. Cette approche la rend plus difficilement contestable sur le fondement de cet arrêt.

  • Utiliser le droit de proposer des orientations alternatives : Même sans une expertise détaillée du projet de rapprochement, le CSE n'est pas démuni. Sur la base des informations initiales (la note du 18 décembre 2023), les élus peuvent formuler des propositions alternatives et interroger la direction sur la cohérence du projet avec la stratégie globale. Cette démarche a une double portée : elle contraint la direction à justifier sa stratégie et, en cas de contentieux, elle constitue une preuve de la diligence du CSE, qui n'est pas resté passif face à des informations parcellaires.


En définitive, cette décision rappelle que le dialogue social est un rapport de force où la maîtrise des procédures et des calendriers est essentielle. Elle souligne l'importance pour les élus d'une vigilance constante et d'une utilisation stratégique de tous les leviers à leur disposition pour faire valoir leur rôle et défendre efficacement les intérêts des salariés..

 
 
 

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