Accident de travail et télétravail : Comment ça se passe ?

Est considéré comme accident du travail, quelle qu'en soit la cause, l'accident survenu par le fait ou à l'occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d'entreprise.
Ces dispositions instaurent une présomption d'imputabilité au travail de l'accident survenu au temps du travail et au lieu de travail.
A défaut de présomption d'imputabilité, il appartient à la victime d'apporter la preuve par tous moyens de la matérialité du fait accidentel, de sa survenance par le fait ou à l'occasion du travail et du lien de causalité entre les lésions et le fait accidentel, les seules affirmations de la victime non corroborées par des éléments objectifs étant insuffisantes (Cass. Soc 8 juin 1995, n° 93-17671. Cass 2ème civ. 7 avril 2011, n° 09-1708).
S'agissant du télétravail, l'article L.1222-9 III du code du travail dispose que :
"III. Le télétravailleur a les mêmes droits que le salarié qui exécute son travail dans les locaux de l'entreprise. L'employeur qui refuse d'accorder le bénéfice du télétravail à un salarié qui occupe un poste éligible à un mode d'organisation en télétravail dans les conditions prévues par accord collectif ou, à défaut, par la charte, motive sa réponse.
Le refus d'accepter un poste de télétravailleur n'est pas un motif de rupture du contrat de travail.
L'accident survenu sur le lieu où est exercé le télétravail pendant l'exercice de l'activité professionnelle du télétravailleur est présumé être un accident du travail au sens de l'article L. 411-1 du code de la sécurité sociale".
Ce rappel fait, une décision récente rendue par la Cour d'Appel d'Amiens (CA Amiens, 15 juin 2023, RG22/00.474) a été amenée à trancher un litige sur le caractère professionnel d'un accident survenu à un salarié dans le cadre de son activité en télétravail.
Dans cette affaire, la déclaration d'accident du travail établie par l'employeur mentionnait que le "30 juillet 2020 à 16h02, Mme [R] a été victime d'un accident à son domicile dans les circonstances suivantes : la victime remontait les escaliers de son sous-sol aménagé en bureau dans le cadre du télétravail lorsqu'elle est tombée. Chute dans les escaliers, de plein pieds".
Il était indiqué que l'employeur avait été prévenu le jour même de l'accident à 17h33 et que les horaires de travail de la salariée étaient ce jour-là de 7h30 à 12h22 et de 12h53 à 16h01.
Le certificat médical initial faisant état d'une "fracture olécrane coude droit" était en date du 2 août 2020 mais comme le soulignait la salariée qui en justifiait, elle avait été hospitalisée du 30 juillet 2020 à 17h50 au 2 août 2020 à 14h01.
Pour les juges de la Cour d'appel d'Amiens, il se déduisait des pièces du dossier que la chute accidentelle avait eu lieu alors que la salariée avait terminé sa journée de travail.
Il n'était pas contesté que le temps de travail correspondait au temps "badgé", et que la salariée avait effectué son pointage de fin de journée (déconnexion) à 16h01.
A 16h02, elle n'était donc plus sous la subordination de son employeur.
Dès lors que l'accident s'était produit en dehors de l'exercice de l'activité professionnelle du télétravailleur, la présomption d'imputabilité de l'accident au travail ne pouvait s'appliquer à cette situation de télétravail.
Et par conséquent, à défaut de présomption d'imputabilité, il appartenait à la victime d'apporter la preuve de la matérialité du fait accidentel, de sa survenance par le fait ou à l'occasion du travail et du lien de causalité entre les lésions et le fait accidentel.
Or cette preuve ne pouvait résulter des seules déclarations de la salariéequi affirmait avoir chuté dans l'escalier à 16h02 après avoir quitté son poste de télétravail.
Il était en effet justifié uniquement de l'information de l'employeur à 17h33 et de l'hospitalisation à 17h50.
La jurisprudence relative à la conception extensive du temps de travail lorsqu'il n'y a pas de doute sur le lien étroit entre le fait accidentel et le travail n'est donc pas transposable.
Par conséquent, la demande de prise en charge au titre de la législation professionnelle de l'accident du 30 juillet 2020 ne pouvait qu'être rejetée.
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Deuxième illustration avec un arrêt de la Cour d'Appel de Saint Denis (CA Saint Denis, 4 mai 2023, RG 22/00.884) : dans cette affaire, une déclaration d'accident du travail avait été faite après qu'un salarié ait subit des fractures multiples et une plaie ouverte suite à la chute sur le crâne d'un poteau électrique (ligne téléphonique) lequel s'était trouvé déséquilibré par l'arrachage des câbles par un camion qui passait.
Il résultait tant des déclarations du salarié que de celles de son épouse ou encore du chauffeur, recueillies dans le cadre des investigations réalisées par la Caisse Primaire d'Assurance Maladie suite aux réserves émises par l'employeur, qu'à 8 heures 30, alors que le salarié avait commencé à télétravailler, un bruit de choc s'était fait entendre à l'extérieur du domicile du salarié et la connexion internet s'était interrompue.
Le salarié s'était alors rendu sur la voie publique, au niveau du trottoir, et discutait avec le chauffeur du camion qui venait de heurter le poteau téléphonique lorsqu'un second véhicule a de nouveau tiré sur les câbles distendus, faisant alors chuter le poteau qui a touché le salarié
La chronologie et l'exactitude de ces faits n'étaient pas contestées.
Pour la Caisse Primaire d'Assurance Maladie, le salarié ne se trouvait plus sur son lieu de travail lors de la survenance de l'accident, de sorte qu'il ne pouvait bénéficier de la présomption d'imputabilité.
Le salarié soutenait en justice être sorti afin de comprendre l'origine de la panne informatique et renseigner l'opérateur téléphonique afin de permettre un rétablissement de la connexion et la reprise de son activité.
Il jurait donc être sorti de son domicile pour les besoins de son activité professionnelle.
Mais les juges de la Cour d'Appel de Saint Denis n'ont pas suivi l'argumentation du salarié : En sortant de son domicile, alors qu'il exerçait ses missions dans le cadre du télétravail, le salarié avait interrompu son travail afin d'aller se renseigner sur l'origine du bruit et de la panne informatique.
Il avait ainsi, selon ces mêmes juges, cessé sa mission pour un motif personnel, aucune obligation ne lui ayant été faite pas son employeur de trouver l'origine de la panne ou de renseigner utilement l'opérateur téléphonique.
En l'absence de survenance du fait accidentel sur le lieu du travail, le salarié ne bénéficiait donc pas de la présomption d'imputabilité.
Le caractère professionnel de l'accident n'étant donc pas établi, la demande de reconnaissance de son accident comme accident de travail a été rejetée.
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Conclusion de ces deux affaires : En situation de télétravail, ne survient pas au temps du travail l’accident survenu après le pointage de fin d’activité du salarié.
Dans la même logique, l’accident qui survient sur la voie publique, même à proximité du domicile du salarié, ne se produit pas sur le lieu de travail.
Attention donc : en matière de télétravail, l'accident de travail se joue donc à la minute et au mètre près !